Réchappés des Harkonnen :
avec Duncan Idaho et Liet-Kynes
dans la base du désert
(Le premier refuge de Paul et Jessica après la chute d’Ar
rakeen)

Jessica franchit le seuil d’un laboratoire aveugle.

Paul la suivit en se retournant vers l’ornithoptère qui les avait déposés là. Elle avait eu un ton tellement péremptoire avec la garde du duc ! Il savait qu’elle avait fait usage de la Voix. Déjà, se dit-il, il pensait en termes Bene Gesserit.

Jessica explora du regard la longue pièce où ils se trouvaient. Un lieu tout en carrés et en angles. Il y avait là une dizaine de personnes en combinaison verte alignées devant un long pupitre. Elles consultaient des cadrans, pianotaient sur des instruments. Il flottait dans l’air une odeur acide d’ozone et les sons assourdis suggéraient l’activité frénétique de multiples engins : le toussotement de machines, les plaintes de courroies de transmission et de processeurs. Alignées sur un mur, Jessica découvrit des cages où étaient enfermés de petits animaux.

— Dr Kynes ? lança Jessica.

Un personnage se tourna vers elle. Il était mince. (Comme la plupart des gousses déshydratées que nous avons vues sur cette planète, se dit-elle.)

— Je suis le Dr Kynes.

Il s’exprimait avec une précision tranchante qui lui correspondait. Jessica le catalogua aussitôt comme l’un de ceux qui parlaient au rasoir, éliminant le flou de leur propos.

Bien, se dit-elle. Ils sont généralement honnêtes.

— Je suis Dame Jessica et… voici mon fils, l’héritier du titre de duc.

Une brève tension apparut dans l’expression de Kynes. Ses collègues ne s’étaient pas arrachés à leur tâche, à leurs gestes précis. La rumeur des machines s’éteignit. Dans le silence, un animal couina brièvement.

— Votre présence nous honore, Très Noble, déclara Kynes.

Très Noble ! ils font tous cette faute ! Bon, laissons passer.

— Vous avez l’air très occupés.

— C’est quoi, cet endroit ? demanda Paul.

Il observait les hommes en vert, leurs gestes prudents, leurs visages attentifs. Cela lui rappelait le laboratoire du Dr Yueh, mais avec plus de matériel.

— Les visites royales sont rares ici, dit Kynes. Nous sommes… pris au dépourvu. Veuillez pardonner le…

— Je croyais que cet endroit avait été abandonné. N’est-ce pas l’une des dernières stations biologiques du désert ? Je l’ai repérée sur la carte du duc. Je croyais qu’il devait la visiter demain.

Kynes tourna brièvement la tête vers le pupitre et s’humecta les lèvres avant de répondre.

— Personne ne nous a dit que vous deviez venir…

Il haussa les épaules.

Jessica promena son regard autour de la pièce et reconnut ce que faisaient ces gens : ils étaient en train d’effacer les dernières traces de tests ou d’examens ! Ils allaient tout supprimer en prévision de la visite de Leto !

Paul prit le bras de sa mère.

— Est-ce que je peux aller voir les animaux dans leurs cages ?

Elle se tourna vers Kynes.

— Oh, il n’y a rien à craindre, dit le planétologiste. Simplement, il ne faut pas mettre les doigts à l’intérieur. Les rats kangourous ont tendance à mordre.

— Paul, dit-elle, tu restes près de moi.

Elle comprenait soudain le malaise de Kynes. Elle ne le quittait pas des yeux et il devenait de plus en plus nerveux.

« J’aime voir les choses telles qu’elles sont, reprit-elle. C’est une des raisons qui font que j’arrive sans me faire annoncer. »

Le visage de Kynes s’assombrit. Il observa l’ornithoptère par la porte ouverte sur le désert et les deux hommes placés en sentinelles.

Jessica prit alors conscience d’un dernier élément : Kynes avait attendu quelqu’un. Sinon, il se serait montré bien plus agité en voyant arriver l’orni. Il attendait l’un de ses transporteurs, avec ses employés. Elle se tourna vers la porte avec un sourire froid.

— Idaho ! Vous voulez bien venir ici ?

Elle vit Idaho lancer quelques mots au pilote, puis s’avancer sur le sable. Il était impressionnant avec son bouclier pectoral et ses armes de cuirasse. Il avait toujours la même attitude déférente envers Jessica, la même fierté sereine qui l’aidait à combattre son ivrognerie.

— Idaho, dit Jessica, il se passe ici quelque chose d’anormal. Examinez soigneusement ces gens. Le duc devra tout savoir à leur propos.

Le regard dur de Duncan Idaho balaya la pièce. Il était le tueur désigné et chacun savait qu’il pouvait exterminer ses adversaires sans même qu’ils aient la moindre chance de l’égratigner.

— Oui, Ma Dame, dit-il.

Kynes avait la gorge nouée.

— Ma Dame, vous ne comprenez pas. Il s’agit de…

— Oui ? De quoi s’agit-il ?

Paul leva les yeux vers Duncan Idaho en essayant d’imiter son regard dur. Il avait activé au maximum son bouclier corporel. Il en sentait le picotement sur son front, là où le champ énergétique était le plus puissant.

— Mon duc se montre toujours très généreux avec ses sujets quand ils le respectent et sont sincères, dit-elle. Tel n’est pas le cas, je puis vous l’assurer, avec les gens qui mentent et tentent de le duper.

Kynes se mordit la lèvre et tenta de retrouver sa dignité.

— Ma Dame, avec tout le respect que je vous dois, cette station dépend encore de l’Empereur et sa Rég…

— Et l’Empereur a été prévenu, j’en suis certaine, que cette station avait été abandonnée, rétorqua-t-elle d’un ton sec. Ne jouez pas à ce genre de petit jeu avec moi !

Elle huma l’air ambiant et détecta une senteur de cannelle ! Si faible sous l’odeur de l’ozone qu’elle dut faire appel à ses sens aigus. L’Épice ! Ils travaillaient sur l’Épice ! Et l’ozone était censée supprimer la senteur de cannelle. Elle explora l’ensemble de la pièce avec sa sensibilité Bene Gesserit totalement éveillée. Elle savait qu’elle pourrait plus tard trier ses impressions et trouver un profil plus détaillé de leurs expériences.

— Vraiment, Ma Dame, protesta Kynes, nous sommes tous de simples sujets de…

— Vous avez fait des expériences sur l’Épice.

Kynes et ses assistants se figèrent sur place. Leur peur était intense, palpable.

Jessica se détendit en souriant.

— Les Harkonnen ont certainement interdit ces pratiques. Mais aucun de vous, pauvres crétins, ne réalise que le duc n’est pas un Harkonnen, et qu’il pourrait avoir des idées bien différentes sur ce genre de recherche ?

Elle surprit la première lueur d’espoir dans les yeux de Kynes et se tourna vers Idaho.

— Vous pouvez vous relaxer, Idaho. Nous venons seulement de tomber sur un symptôme de la maladie des Harkonnen. Ils n’ont pas encore trouvé l’antidote des Atréides.

Paul regarda sa mère, puis Kynes. Comment avait-elle pu savoir pour l’Épice ? Il se dit que c’était grâce à son éducation spéciale. Mais comment ? La certitude qu’elle était capable d’une pareille chose et qu’il devait apprendre comment raffermir sa résolution. Je vais apprendre, se dit-il.

Kynes risqua encore : « Mais… »

— Ne cherchez pas d’excuse, dit Jessica. Tout ce qui se passe dans le fief des Harkonnen nous est familier.

Elle promena le regard sur le pupitre, les paillasses du laboratoire, et retira une évidence de sa lecture gestalt : Il faut qu’ils croient que nous sommes omnipotents. Et elle dit :

— Vous avez retracé la bifurcation de la chaîne du phénol. Bien, Dites à vos gens de poursuivre leur travail. Le duc va exiger un rapport complet de vos travaux.

Le visage de Kynes s’affaissa. Chacune de ses rides dévoilait sa soumission. Si seulement Jessica avait pu connaître l’objectif de leurs expérimentations…

Elle répéta avec aplomb :

— Dites à vos gens que mon duc récompense ce genre d’activité… surtout si elle aboutit. Autre chose : Écartez de votre esprit l’idée de quitter cet endroit. Il me semble parfait pour vos recherches. Il est à proximité des sables d’Épice. Le lieu rêvé pour ne pas avoir de visiteurs inopportuns. (Elle sourit.) Parce que nous ne sommes pas des visiteurs inopportuns.

Lentement, des rires fusèrent dans le laboratoire. Ils lui en apprirent beaucoup. La façon dont une personne rit montre où se situent ses tensions. Un axiome Bene Gesserit. L’un des hommes présents dans la pièce avait seulement affecté de rire. Elle le nota pour enquêter plus tard et dit :

— Docteur, y a-t-il un endroit, quelque part, où nous pourrions discuter sans être dérangés ni perturber vos assistants ?

Kynes hésita, puis inclina la tête : « Dans mon bureau, Très Noble. »

Il désignait une porte en face des cages.

— Paul, tu ne quittes pas Idaho. Je ne serai pas absente très longtemps. Approche-toi des animaux, si tu veux, mais n’oublie pas ce qu’a dit le docteur. Il y en a qui mordent !

Inutile de leur dire de porter leurs boucliers à tout moment, songea-t-elle. Elle adressa à Idaho le signe discret qui lui enjoignait de ne pas tenir compte de son ordre de se relaxer. Il devait rester sur le qui-vive. Il lui répondit d’un clin d’œil. Tandis qu’elle accompagnait Kynes, elle remarqua qu’un des assistants traversait la pièce, s’approchant de la porte extérieure. Très précisément l’homme qui avait simulé un rire.

Le bureau de Kynes était carré, à peu près de huit mètres de côté, couleur curry, avec une simple rangée de dossiers-bobines et un écran de scanner portable. La pièce était aveugle. Presque au centre, il y avait un bureau trapu à la surface laiteuse criblée de bulles jaunes. Il était entouré de quatre fauteuils à suspenseur. Sous un bloc de rose des sables, il y avait une liasse de papiers.

Où comptaient-ils dissimuler toutes ces choses ? s’interrogea-t-elle. Le bâtiment en angle avait été taillé dans une falaise. Elle se dit alors qu’il devait exister une autre issue, sans doute dans un mur latéral. Alors que l’ornithoptère allait se poser, elle avait remarqué que toute la structure était blottie contre une falaise. Une caverne sous la falaise ! Ce serait tellement efficace.

Kynes lui montra un fauteuil et elle s’assit.

— Pas de fenêtres, remarqua-t-elle.

— Ici, à proximité du Mur du Bouclier, nous recevons les vents les plus forts. Ils atteignent jusqu’à sept cents kilomètres/ heure et plus. Certains se perdent dans cette petite poche. Nous appelons cela la pluie de sable. Il ne faut pas longtemps avant que ce genre d’averse rende une fenêtre opaque. Nous dépendons de scanners optiques qui peuvent être protégés par des boucliers.

— Je vois. (Elle ajusta la souplesse de son siège.) Si j’ai amené mon fils, docteur, c’est parce qu’un jour, il gouvernera Arrakis. Il doit apprendre. Il nous a été dit que cet endroit était sécurisé pour la visite du duc. Je considère donc qu’il l’est autant pour mon fils et moi.

— Mais oui, vous êtes en sécurité ici, Ma Dame.

Elle répliqua : « Nul n’est parfaitement en sécurité où que ce soit. »

Kynes baissa les yeux et elle ajouta :

« Je crois comprendre que vous êtes sur Arrakis depuis de nombreuses années. »

— Quarante et un ans, Ma Dame.

— Depuis si longtemps ?

Il affronta son regard, puis détourna les yeux.

— J’ai été éduqué sur le Centre et le premier poste qu’on m’ait désigné était celui-ci, Ma Dame. C’était une tradition familiale. Mon père m’avait précédé sur ce monde. Il était Chef des Laboratoires alors qu’Arrakis était encore La Station d’Étude Botanique du Désert de Sa Majesté Impériale.

Elle fut séduite par la façon dont il avait dit « Mon père ».

— C’est votre père qui a découvert l’Épice ?

— Ce sont les hommes qui travaillaient avec lui qui l’on découverte, dit Kynes en baissant les yeux.

« C’était son bureau. »

Il y avait tant de fierté et d’adoration dans sa voix que Jessica en perçut la pulsion avec ses sens particuliers.

— Asseyez-vous, je vous prie, dit-elle.

Kynes promena les yeux autour de lui, embarrassé.

— Mais… Ma Dame…

— Tout va bien. Je ne suis que la concubine légale du duc, la mère de son héritier, mais ce serait quand même légal si j’étais de naissance noble. Dr Kynes, vous êtes un homme loyal et honorable. Mon duc respecte les personnes telles que vous et nous évitons le cérémonial habituel avec ceux en qui nous avons confiance. Je vous en prie : asseyez-vous.

Kynes s’installa dans le fauteuil et l’ajusta au maximum de résistance.

— Vous opérez encore avec l’accord impérial ? demanda Jessica.

— Sa Majesté a la bonté de subventionner notre travail.

— Qui consiste en quoi ? (Elle sourit.) Pour les résultats, j’entends.

Il répondit à son sourire et elle constata qu’il se détendait.

— Cela concerne surtout la botanique et la biologie des régions sèches, Ma Dame. Et nous faisons aussi des recherches géologiques – forages, analyses, ce genre de chose. Les ressources d’une planète sont inépuisables.

— Sa Majesté est-elle au courant de vos autres recherches ?

— Je ne sais comment formuler ma réponse, Ma Dame.

— Essayez.

— Nous ne dissimulons rien à l’Imperium. Nous conservons toutes les archives et nous envoyons des rapports comme convenu. Et nous avons toute autorisation officielle pour nos projets. Nous…

Jessica se mit à rire.

— Kynes… Kynes, vous êtes merveilleux. Tout le système est merveilleux. Et la Cour impériale est tellement lointaine.

Kynes répliqua d’un air roide :

— Nous sommes de loyaux sujets de l’Imperium, Ma Dame. Je vous en prie, n’essayez pas de déformer ce que je…

— Déformer ? Kynes, vous me décevez.

— Ce que nous avons découvert est pour le bien de la Régate Impériale. Ce n’est pas comme si…

— Je veux que vous gardiez une chose à l’esprit, Dr Kynes, dit Jessica d’une voix dure. Vous êtes désormais un sujet du duché Atréides. C’est mon duc qui donne les ordres. Lui aussi est un loyal sujet de l’Imperium. Et il sait aussi comment conserver des archives, adresser des rapports et quelles autorisations sont nécessaires pour ses projets.

Et elle se dit : Maintenant, on va voir s’il a encore du ressort.

Kynes eut une expression aigre.

— Et la Cour est tellement éloignée. Un planétologiste d’ordre mineur pourrait être mort et enterré parfaitement légalement avant que la Cour le retrouve.

— Vous avez été trop longtemps dépendant des Harkonnen. Vous n’avez pas appris autre chose que la peur et le soupçon ?

— Oh, Ma Dame, le schéma est suffisamment clair.

— Quel schéma ?

— L’armée des dompteurs, les pressions subtiles et moins subtiles. (Il serra les bras de son fauteuil en secouant la tête.) Cette fois, j’avais espéré que… cette planète pourrait être un paradis ! Mais vous et les Harkonnen, vous n’avez toujours pensé qu’à ramasser de l’argent avec l’Épice !

— Comment cette planète pourrait-elle devenir un paradis sans argent ? riposta-t-elle.

Il cligna des yeux.

« Vous êtes comme la plupart des visionnaires, insista Jessica. Vous ne voyez pas grand-chose en dehors de votre vision. »

— Ma Dame, je sais que je me suis exprimé avec rudesse, mais…

— Comprenons-nous bien, Docteur. Mon duc n’a pas pour habitude d’éliminer les hommes de valeur. Vos paroles… sans ambages, prouvent simplement votre valeur. Le fait que vous avez encore du ressort et que les Harkonnen n’ont pas réussi à l’entamer. Mon duc a besoin de gens qui ont de la force.

Kynes prit profondément son souffle et ses yeux inquiets explorèrent les quatre coins de la pièce.

— Comment pouvez-vous être certain que je dis la vérité ? demanda Jessica avec un sourire ambigu. Vous ne le pouvez pas, bien sûr, jusqu’à ce qu’il soit trop tard, jusqu’à ce que vous optiez pour la décision irrévocable. Mais les Harkonnen ne vous ont pas donné le choix, n’est-ce pas ?

Il secoua la tête.

« Moi aussi, je peux parler sans ambages. Mon duc est acculé au mur. Ce fief est son dernier espoir. S’il réussissait à faire d’Arrakis un duché sûr et puissant, il y aurait un avenir pour la lignée des Atréides. Il vient de Caladan, un monde qui est un paradis naturel. Trop agréable, sans doute. Les hommes s’y font moins mordants. »

— Ma Dame, on parle d’agents des Harkonnen qui seraient restés en arrière.

Les mots semblaient lui avoir été arrachés, comme s’il voulait en dire plus et en était incapable.

— Bien sûr que des agents sont restés en arrière ! Et maintenant, nous l’avons trouvé. Vous en connaissez certains ?

Kynes risqua un regard vers la porte.

— Non, Ma Dame. Bien entendu. En dehors de mon travail, j’ai peu de contacts avec le monde.

Il ment, se dit-elle, et elle en éprouva plus de peine qu’elle aurait dû. Elle soupira. Une autre fois, peut-être… Et elle devrait rapporter à Tuek ce que cet homme savait.

— Votre duc, qu’attend-il donc de moi ? demanda Kynes.

Bien, pourquoi ne pas changer de sujet ? se dit-elle avant de demander :

— Est-ce qu’on peut cultiver l’Épice artificiellement ?

Kynes plissa les lèvres.

— Le mélange n’est pas ordinaire… Sauf, si tant est que ce soit possible, voyez-vous… Je soupçonne qu’il existe une relation symbiotique entre les vers et ce qui est à l’origine de ce qui produit l’Épice.

— Oh ? fit-elle, surprise par cette idée. Mais pourquoi pas ? Nous connaissons des relations encore plus étranges.

— Vous auriez des preuves de ce genre de symbiose ?

— Elles sont particulièrement ténues, Ma Dame, je dois le reconnaître. Mais chaque ver défend son propre secteur de sable d’Épice. Chacun d’eux semble posséder un territoire… Voyez-vous, nous avons un spécimen intact sur un autre site. La capture de ce spécimen était un vaste projet, diriez-vous…

— Vous détenez un ver des sables vivant ?

— Oh non ! Il est bel et bien mort. Mais conservé. Nous l’avons paralysé avec une explosion chimique avant de l’enfouir et d’en neutraliser chaque segment avec des décharges électriques à haut voltage. L’un après l’autre.

L’excitation de Kynes, sa volubilité, n’échappaient pas à Jessica.

— Il est grand ? demanda-t-elle.

— Non, plutôt petit, à vrai dire. Quatre-vingts mètres de long sur quinze de diamètre. Dans le désert profond, ils peuvent avoir dix fois cette taille. Nous l’avons capturé dans les latitudes élevées, là où la couche de sable sur le rocher est plutôt mince. Ils sont rares dans cette région, bien sûr, et j’ajouterai que l’Épice aussi y est rare. On ne trouve pratiquement jamais de vers aussi haut dans le Nord. Trop de rochers, et il y a les montagnes entre nous et le désert. Donc, aucune trace d’Épice dans ces latitudes.

— Simplement parce qu’il n’y a pas d’Épice quand il n’y a pas de vers, dit Jessica. Ce qui ne prouve pas…

— Mais il existe une autre preuve, dit Kynes. Les examens de notre spécimen suggèrent une relation complexe. Il est très difficile de comprendre véritablement le désert profond. Les usines à chenilles, les appareils volants, tout ce qui subit l’épreuve des dunes n’a que peu de chances de survivre. Le seul espoir est dans la fuite, le plus rapidement possible, à moins que vous n’ayez la chance d’atteindre l’un des rares points élevés. Chaque année, le nombre de vies humaines perdues reste prévisible.

— Ah, oui, les statistiques, murmura Jessica.

— Vous dites, Ma Dame ?…

— Je pensais à l’ubiquité du désert. Et vous parliez d’en faire un paradis.

— Eh bien, si nous disposions de suffisamment d’eau…

La porte derrière lui s’ouvrit avec violence, des cris résonnèrent dans des claquements de bottes d’acier, des visages grimaçants et imprécis. Jessica se redressa et entrevit le visage d’Idaho, les yeux ensanglantés, assailli par des ongles de rapaces, des arcs flous d’acier mordant. Paul rampait derrière Idaho sous le feu orange d’un paralyseur. Il brandissait son petit couteau empoisonné et frappait aveuglément ceux qui les assaillaient, lui et Idaho.

 

Autre version de la scène :

 

— Ce que nous devons faire de toute urgence, dit Paul, c’est récupérer nos atomiques de famille. Elles sont…

— Et l’eau… du corps de votre père ? demanda Kynes.

Paul perçut le sens caché de sa question.

— Mon père est mort avec honneur.

— Vous savez cela sans savoir comment il a été tué ?

— Je le sais.

— Il se peut que vous le sachiez, mais les Harkonnen… vont disposer de son eau.

— Ils n’y penseront pas. Ils ne suivent pas les principes d’Arrakeen. Mon père va s’enfuir dans l’air et dans le sable d’Arrakis, faire partie de ce monde, tout comme moi je deviendrai une part d’Arrakis.

— Les Fremen hésiteront à suivre un homme qui n’a pas récupéré l’eau de son père.

— Je vois.

— Sire, vous avez demandé mon conseil.

— Pourriez-vous me suggérer un moyen de… récupérer l’eau de mon père ?

— Une force est en train de se créer en ce moment pour récupérer nos propres corps d’Arrakeen. On pourrait leur dire aussi de récupérer votre père. S’ils gagnent, une bataille clé avec le leader de cette bande, vous serez victorieux et vous pourrez redresser les choses.

— Mais ça n’est pas le meilleur moyen, dit Paul.

— Non. Le meilleur moyen est de le faire vous-même.

— Nos atomiques de famille sont à Arrakeen. Elles sont sous le bouclier et enfouies loin sous notre résidence, directement reliées à la station énergétique de la maison qui les masque.

Il n’hésite pas à tout raconter à cet homme, se dit Jessica. Il sait qu’il est loyal. Oui, vraiment, mon fils serait un vrai Empereur. Elle écarta dans la seconde cette pensée : Je ne dois pas me laisser infester par son plan.

— Sur Arrakis, dit Kynes, l’eau est plus importante.

— Dans l’Imperium, les atomiques d’une famille sont également importants, répliqua Paul. Sans eux, nous n’avons pas de point de négociation muet.

— La menace du suicide, fit Kynes d’un ton amer. Je vais réduire votre planète en cendres.

— Sans les atomiques, poursuivit Paul, nulle Grande Maison ne l’est vraiment. Mais… (Il désigna le krys dans son fourreau, à peine visible sous les robes du planétologiste)… un Fremen est-il vraiment un Fremen sans son couteau ?

Un sourire effleura les lèvres de Kynes et ses dents brillèrent dans sa barbe.

La route de Dune
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